Prêt pour la Grande Régression ?

Depuis plus de 20 ans, je suis un des ambassadeurs du management de l’intelligence collective et du leadership partagé. J’ai vu grandir le niveau de conscience sur ces sujets et les demandes d’accompagnement se sont multipliées. Après une grande progression, j’ai bien peur que nous soyons au début d’une Grande Régression alors même que nous n’avons jamais eu autant besoin d’intelligence collective et de leadership partagé pour faire face aux défis du futur. Ces approches sont la clé de notre résilience et de notre agilité. Elles proposent des savoir-faire fondés sur l’hybridation comme le Codev Stratégique. Ces savoir-faire permettent la mise en œuvre de savoir-être indispensables pour gérer efficacement les risques décisionnels dans les situations complexes : l’écoute, la bienveillance, l’humilité, l’entraide et l’altruisme.

Après une grande progression, il semble que nous soyons au début d’une grande régression depuis la pandémie du COVID-19 (mars 2020). De nombreux « ambassadeurs » du leadership partagé (managers ou consultants) ont découvert qu’ils faisaient partie des « commerces » non essentiels et, par conséquent, le leadership partagé a régressé.

Pour illustrer ce phénomène de régression, on pourrait prendre l’exemple de la gestion des connaissances ou Knowledge Management qui fut très populaire il y a quelques années et qui est aujourd’hui réduit au strict minimum dans de nombreuses organisations : la veille, c’est-à-dire une démarche qui peut démontrer un impact direct et immédiat sur les ventes. Dans ce cadre, l’organisation apprenante semble être un commerce non essentiel ! Pourtant, la gestion des connaissances est un ensemble de techniques qui alimente la mémoire collective : repérer les savoirs critiques, les formaliser pour mieux les partager et les « stocker » dans une base de connaissances pour que chacun puisse consulter ces savoirs selon ses besoins : résolution de problème, innovation, développement de la performance, etc. Que fait votre organisation dans ce domaine ? Qui en parle autour de vous ? Quelles sont les actions que vous menez à votre niveau sur ce sujet ?

Si l’intelligence collective et la mémoire collective semblent indispensables d’un point de vue théorique, pourquoi avons-nous l’impression qu’il s’agit de commerces non essentiels comparés à tous les « commerces » (départements, entités, projets) qui contribuent à la productivité ?

Depuis le début des années 2000, nous avons progressé vers plus d’intelligence collective et d’altruisme grâce à de nombreux facteurs. Il semble que nous sommes maintenant en train de régresser à cause de nouveaux facteurs.

Je vous propose un tableau pour présenter ces facteurs et je suis à votre écoute si vous souhaitez compléter ou contester !

Je vous recommande une lecture ligne par ligne plutôt que par colonne !

Années 2000 à 2020
L’heure du leadership altruiste a sonné !
Depuis 2020
Un grand risque de régression vers le leadership archaïque
Internet se développe et porte des valeurs de transparence, de transversalité et de partage. L’accès aux savoirs favorise l’hybridation et l’innovation. Les réseaux sociaux augmentent les mises en relation et la puissance de l’intelligence collective. L’innovation est devenue un culte et beaucoup pensent même qu’elle permettra de régler les futurs problèmes climatiques.On doute maintenant de la possibilité de régler les problèmes climatiques avec l’innovation. ChatGPT débarque sur Internet et crée un début de panique mondiale : les cols blancs seront bientôt tous au chômage. Des pays et des universités prennent des mesures d’interdiction totale. L’heure est aux prophéties apocalyptiques évoquant des menaces existentielles pour l’humanité alors qu’il s’agit techniquement d’un simple moteur de recherche amélioré. Voir mon article sur le sujet…
Les générations Y et Z veulent du sens et de l’impact dans un environnement de travail post-taylorien. L’entrepreneuriat, la prise de risque, l’intelligence collective, l’innovation sont valorisés. Tout est possible !La génération D englobe maintenant une grande partie de la population et surtout les jeunes. D comme déprimé par l’inflation, la guerre en Ukraine, la menace d’une 6ème extinction et la crise climatique (éco-anxiété).
Une période de croissance lente, mais sans inflation avec des guerres très localisées. Un vent d’optimisme et de confiance qui voit l’émergence du concept de « Chief Happiness Officer ».Une pandémie qui favorise le repli sur soi parce que l’autre peut me transmettre le virus : « on va tous mourir ». Nous avons également peur d’une nouvelle Grande Dépression (crise économique des années 30), de l’inflation, d’une 3ème guerre mondiale à cause de l’Ukraine voire d’une apocalypse nucléaire. Les pénuries d’eau, les incendies, les inondations, l’annonce du pic pétrolier, l’échec de chaque COP augmentent encore plus la peur et le repli sur soi.
Le monde est de plus en plus VICA : volatil, incertain, complexe et ambigu. Ce monde a créé une énergie positive vers plus de coopération et d’entraide parce que nous étions assez optimistes.Le complexe de VICA semble de plus en plus inextricable et pourrait nous conduire au chaos façon Fukushima. On ne voit plus vraiment de solutions, ni dans le leadership charismatique ni dans le leadership partagé.
La mondialisation pousse à l’ouverture et à la coopération entre les entreprises et les États. Cela crée une culture qui favorise l’interdépendance, l’ouverture sur l’autre.La mondialisation commence à être perçue comme une menace en particulier à cause de la rupture temporaire des chaines logistiques et des pénuries de médicaments ou de vaccins. La priorité est maintenant à la souveraineté nationale, c’est-à-dire le repli sur soi. L’égoïsme national est mondialisé comme l’illustre la gestion de la crise climatique (chacun pour soi) et la nature du soutien apporté à l’Ukraine : trop peu, trop tard et trop lent (voir mon article : La guerre des biais en Ukraine).
L’heure est à l’union des peuples (Union européenne) et à la défense des valeurs démocratiques.Dans son dernier rapport de mars 2022, l’institut V-Dem de l’université de Göteborg en Suède constate le déclin de la démocratie. Au niveau mondial, tous les progrès démocratiques des trente dernières années ont été effacés. 70% de la population mondiale vit dans une dictature. L’heure est au populisme et à la montée en puissance de l’extrême gauche et de l’extrême droite qui promettent des solutions simples, rapides et radicales. Pour approfondir, voir mon livre sur le sujet…
Les médias sociaux permettent l’expression d’une pensée divergente et favorisent l’hybridation et l’innovation.Ces mêmes médias sociaux sont utilisés pour propager des thèses complotistes en particulier durant la pandémie. Les biais cognitifs rendent crédibles des mensonges, l’heure de la post-vérité a sonné. Ce complotisme propage la peur à grande échelle.

Malheureusement, les facteurs qui émergent ou qui montent en puissance depuis mars 2020 nous poussent vers le bas de la pyramide de Maslow. Nous régressons parce que nous avons plus besoin de sécurité que d’accomplissement de soi.

En général, la vitesse de la régression est proportionnelle à la force de la tempête : ruptures technologiques ou réglementaires, pandémie, bouleversements économiques, sociaux ou géopolitiques (inflation, guerres). Dans la tempête, les biais cognitifs (une vision déformée de la réalité) et la peur vont très souvent s’imposer dans nos esprits, nos organisations et nos sociétés. Le leadership partagé et altruiste risque malheureusement d’être remplacé par un leadership archaïque tel que décrit dans cet article.

Sur le thème du leadership archaïque dans la gouvernance politique, on constate que 70% de la population mondiale vit dans une dictature parce que l’autocratie et ses variantes sont le mode de gouvernance “par défaut” de l’humanité. Pour vivre dans une démocratie, il faut faire des efforts importants et continus sinon vous lirez tôt ou tard une étude qui vous expliquera que “tous les progrès démocratiques des trente dernières années ont été effacés”. Passer de la démocratie à l’autocratie est un chemin facile et on peut même dire naturel. Poutine a tué la démocratie dans son pays progressivement, sans réelle protestation parce qu’il a ramené son pays à un mode de gouvernance “par défaut”. Passer de l’autocratie à la démocratie est un chemin long et difficile qui nécessite souvent des révolutions violentes et parfois infructueuses comme en Iran en 2023. En général, il faut combiner le désespoir du peuple et l’idéalisme de quelques leaders pour créer les conditions d’une révolution parce que les révolutionnaires doivent être prêts à mourir pour vivre dans une démocratie. Inversement, accepter de vivre dans une autocratie ne demande aucun effort. Il faut simplement accepter d’être dominé par un autocrate ou des oligarques comme dans les sociétés primitives.

Cependant, cette régression n’est pas une fatalité, mais une solution de facilité. Régresser ne demande aucun effort puisqu’il s’agit simplement de revenir sur sa zone de confort. Le management de l’intelligence collective et le leadership partagé demandent des efforts constants même quand tout va bien ! Ils sont les garants de notre résilience et d’une prospérité durable. Quels que soient l’évolution du monde et le niveau de peur, les organisations altruistes, humanistes et apprenantes seront toujours plus attractives pour leurs collaborateurs et leurs clients que celles qui ont choisi la Grande Régression… par facilité.

L’altruisme et l’entraide demandent plus d’efforts que le repli sur soi et le chacun pour soi, mais il y aura une récompense pour les organisations qui ont renoncé à la facilité et une sanction pour les autres : un environnement de travail toxique.

Selon son tempérament, optimiste ou anxieux, on peut finir la lecture de cet article déprimé ou prédire un grand avenir aux ambassadeurs de l’intelligence collective, aux leaders altruistes et aux organisations apprenantes. Je suis optimiste, mais uniquement pour les organisations qui sont prêtes à faire des efforts constants pour ne pas régresser !

Pour approfondir le sujet, je vous invite à lire cet article : Êtes-vous un leader archaïque ?


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Author: Olivier Zara

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6 thoughts on “Prêt pour la Grande Régression ?”

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